Démographie médicale 2010

Publié le par JFM

C’est une tradition : chaque année, l’Ordre des médecins publie une brochure dressant l’état des lieux de la démographie médicale au 1er janvier, à partir d’une mise à jour de son tableau, sur la base des données de chaque conseil départemental. Cette année, après deux études consacrées aux spécialités en crise, le document 2007 innove complètement. Il intègre toutes les statistiques sur des cartes géographiques - d’où cette nouvelle appellation d’Atlas de la démographie médicale. Pour traiter cette dimension géographique, la section Santé publique, en charge de la démographie médicale au Conseil national de l’Ordre des médecins, s’est d’ailleurs assuré les compétences d’une géographe de la santé, Gwénaëlle Le Breton- Lerouvillois. « Une amélioration considérable, souligne le Dr Irène Kahn- Bensaude, présidente de cette section. Grâce aux cartes, les chiffres deviennent beaucoup plus faciles à interpréter. » En fait, les informations disponibles sur la démographie médicale sont les mêmes que les années précédentes. Elles portent toujours sur l’état civil du médecin (âge, sexe), sur son cursus universitaire et ses qualifications, son activité professionnelle, son (ou ses) mode(s) d’exercice. Mais pour chaque spécialité, on peut désormais visualiser la répartition des praticiens sur le territoire national, repérer, département par département, les zones à densité faible, moyenne ou forte, et voir leur évolution d’une année sur l’autre. Quarante-neuf spécialités ont ainsi été passées au crible. Un travail titanesque qui offre une « lecture » de la démographie médicale très fine : non plus par territoire ou par spécialité, mais par territoire et par spécialité en même temps. On peut désormais repérer en un clin d’œil, pour chaque spécialité, les zones de faiblesse en fonction du nombre d’habitants, de l’âge de ses praticiens et de leurs modes d’exercice, alors qu’il fallait auparavant faire des croisements complexes. La confrontation de ces données objectives, replacées dans leur contexte géographique, devrait, à l’avenir, rendre plus improbables les erreurs d’appréciation. Comme par exemple, affirmer qu’il y a assez de généralistes pour la population française... sans voir que de plus en plus de secteurs en ont trop peu et que leurs habitants doivent, pour se faire soigner, parcourir de grandes distances ou attendre longtemps pour avoir un rendez-vous. Certaines incohérences, hier encore peu visibles, deviennent évidentes, telle celle-ci : c’est dans les zones qui comptent le plus de personnes âgées qu’il n’y a pas de gériatres ! Bref, la lecture de cet ouvrage devrait participer à une meilleure appréhension de ces dysfonctionnements et donc, à une meilleure prise en charge.
La publication par l’Ordre de ses études démographiques, notamment les Atlas de la démographie médicale française, répond à une attente importante tant de la part des médecins que des institutions et des organismes officiels. Elle traduit et conforte l’expertise incontournable du Conseil national de l’Ordre en matière de démographie médicale par sa capacité unique à observer la réalité de terrain grâce aux données chiffrées dont il dispose : atlas national, études et enquêtes.

 

 

Pour le Dr Irène Kahn-Bensaude, présidente de la section Santé publique du Conseil national, le point de vue de l'Ordre

« Des plans beaucoup plus ambitieux, beaucoup plus novateurs »

Il faut se rendre à l’évidence : les incitations, telles qu’elles ont été proposées jusqu’à présent, n’ont pas eu beaucoup d’effets. À l’heure du choix, les jeunes médecins préfèrent aller s’installer à la ville plutôt qu’à la campagne, au soleil plutôt qu’au froid, etc. C’est humain, mais difficilement acceptable en termes de santé publique ! Il est inconcevable, dans notre pays, que l’accès aux soins de proximité ne soit pas garanti sur l’ensemble du territoire. Mais il serait tout aussi illusoire de vouloir obtenir aujourd’hui des installations dans des zones désertées, sachant que 80 % de la population vit désormais sur 20 % du territoire. Il est donc urgent - car la situation se dégrade vite - de réfléchir à une autre façon d’agir. Faut-il prendre des mesures coercitives ? L’institution ordinale y est opposée, d’autant plus que ces mesures donnent rarement de bons résultats. Nous sommes convaincus que la seule voie efficace passe par des dispositifs incitatifs et un aménagement du territoire. Mais cessons de « mégoter », de saupoudrer. Les aides à l’installation ne règlent rien, on l’a bien vu. Pour modifier les tendances fortes actuelles, il faut des aides à l’exercice. Cela implique de changer radicalement notre regard, d’élaborer des plans beaucoup plus ambitieux et plus novateurs. Élaborer des stratégies permettant d’augmenter le temps médical de chaque praticien, notamment en favorisant les délégations de tâches. Penser les besoins de santé non plus par commune mais par bassin de vie. Concevoir des maisons de santé regroupant tous les professionnels de santé - ce qui exigera, soit dit en passant, une gestion minutieuse assurée par de vrais gestionnaires -, avec des médecins suffisament nombreux pour assumer la charge de travail. Ce n’est pas utopique : de telles maisons commencent aujourd’hui à voir le jour et donnent satisfaction aux populations qui en bénéficient. Notre société a changé ; l’exercice de la médecine doit suivre cette évolution.


Dr Yann Bourgueil, spécialiste de santé publique, chercheur à l’Irdes (Institut de recherche et documentation en économie de la santé)

« Il faut désormais raisonner en termes de services médicaux... »

La santé est un élément majeur de l’aménagement du territoire, dites-vous...

Oui, car accéder rapidement aux soins de qualité est un service de base que chacun peut attendre partout sur le territoire national. Pourtant, jusqu’à ces derniers temps, la santé avait été très peu prise en considération dans le cadre de l’aménagement du territoire. Par exemple, on a construit des villes nouvelles, comme Marne-la-Vallée ou Cergy- Pontoise, sans l’intégrer dans la réflexion !

 

Comment expliquer cette absence ?

La santé, c’est compliqué ; les élus locaux préfèrent laisser le dossier aux professionnels du secteur. Et s’ils ne l’ont jusqu’ici pas envisagé comme un élément pertinent, c’est qu’il y avait assez de médecins... Les premiers problèmes ont surgi avec la fermeture des petits hôpitaux ou maternités - des épisodes mal vécus par la population et les élus parce qu’ils symbolisent l’extinction d’un territoire. Avec la diminution du nombre des médecins, il va falloir mieux définir les services de proximité que l’on veut garantir à la population en termes de soins et de santé. À partir de là, on pourra déterminer le nombre de médecins, d’infirmières ou autres professionnels, et l’organisation nécessaire pour servir la population.

 

Mais comment agir sur la médecine libérale puisqu’elle n’est pas régulée ?
D’abord en précisant mieux ses missions, notamment celles des généralistes. S’ils ont des missions à rendre à la population, disons-le clairement ! Pour les hôpitaux, les choses sont nettes. Pas pour la médecine de ville qui aurait besoin d’une grande réforme universitaire, à l’instar de celle de 1958 qui a vu la création des CHU. Pourquoi ne pas créer des centres ambulatoires universitaires ? Cela permettrait de mieux la définir, de repenser la façon dont on recrute les étudiants, dont on les forme et dont on les prépare à exercer ce métier...

 

Les politiques ont-ils pris la mesure des risques de désertification médicale ?
Les élus locaux en ont pris conscience et c’est une bonne chose. Mais ont-ils toujours les bonnes réponses ? On ne peut plus raisonner uniquement sur la seule présence de médecins ici ou là. Penser en termes de services médicaux offerts donne plus de latitude : les services peuvent être fournis en partie par des médecins en collaboration avec d’autres professionnels du secteur sanitaire et social. On allégera ainsi le travail des médecins tout en gérant mieux les problèmes de santé (par la prévention, par une meilleure prise en charge des difficultés sociales, etc.). Toutes ces nouvelles formes d’organisation supposent une approche plus globale de la santé. C’est de ce côté-là qu’on doit travailler.

Pouvez-vous citer des réalisations intéressantes dans ce registre ? Des démarches innovantes dans lesquelles la santé est intégrée comme facteur du développement du territoire existent. Elles naissent en général sous l’impulsion d’élus locaux, d’acteurs associatifs et de médecins entreprenants. Ainsi, en Lorraine, l’association Renouveau Villages joue un rôle très actif de médiateur entre les élus et les professionnels en favorisant l’implantation de maisons de santé à l’échelon des communautés de communes. Autre exemple : le conseil régional d’Aquitaine a une politique de développement de ses territoires basée sur des projets de « pays » dans lesquels la santé est désormais intégrée. Reste qu’aujourd’hui, la marge de manœuvre des acteurs locaux est trop étroite. Il faudrait pouvoir, à partir d’objectifs nationaux clairs et précis, aussi bien sanitaires que budgétaires, laisser jouer les dynamismes locaux pour que chaque territoire trouve ses propres solutions, avec les acteurs et les ressources disponibles.

 

Peut-on s’inspirer de solutions pertinentes étrangères ?
Les solutions passent par le regroupement des professionnels de santé et le travail d’équipe avec des délégations de tâches et des compétences étendues. Quelques pays limitent l’installation. Aux États-Unis, en Australie et au Canada, les médecins immigrés doivent s’engager à travailler pendant plusieurs années dans des zones déshéritées. En Norvège, c’est la commune qui gère les soins primaires ; pour s’installer, le médecin doit être autorisé. Cela dit, les pays qui im-posent aux médecins des contraintes à l’installation leur reconnaissent, en échange, des missions et un statut. 


Après un survol de la démographie survoltée des ostéopathes de France, c'est une analyse des statistiques qui permet d'entrevoir l'avenir sous un angle pessimiste comme l'avait prévu le Rapport sur le corps médical à l'horizon 2015 par Guy Nicolas.

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